un bout de réflexion

Ma grand-mère va mourrir.

En maison de retraite, elle a un caractère impossible mais n'est plus très responsable d'elle même. Je ne l'ai jamais aimé, elle venait souvent le Dimanche chez nous... Je pourrais même dire qu'à un moment je la haïssais. Je ne sais pas tellement pourquoi, sans doute pour ses petites réflexions, pour sa façon d'être, toujours morne et affalée... Parce que quand elle était là il fallait rester avec elle.
Et puis son état s'est empiré alors elle ne venait presque plus. Mon père allait la voir. Et moi, entre temps, j'ai grandi. La dernière fois que je l'ai vu longtemps, à Noël, j'ai discuté un peu avec elle. Elle m'a raconté qu'elle avait fait un scandale à la maison de retraite parce qu'elle n'avait pas voulu aller voir la creche de Notre-Dame. Je me suis rendue compte que c'était la seule chose dont elle était encore fière et qu'elle contrôlait encore, ses opinions et sa façon de faire chier le monde. Et puis je lui ai raconté que je partais en Irlande, "pourquoi en Irlande? Il pleut tout le temps là-bas!" et puis on a parlé un peu de l'Algerie où elle a passé son enfance et qu'elle considère comme son pays. "Quand j'étais petite, à 15 ans, je n'aurais même pas pu songer à partir de chez mes parents. Je suppose que c'est mieux maintenant". Je l'ai un peu reconsiderée, comme quelqu'un qui pensait, quelqu'un avec qui on pouvait échanger.

Je l'ai toujours entendu dire qu'elle voulait mourir. Ca n'est pas une envie de suicide ou quoi, c'est un ras-la-bol. Elle se rend compte que sa vie n'a plus aucun interêt, le train-train quotidien de la maison de retraite qu'elle déteste, où elle ne regarde même plus la télé, elle reste dans son fauteuil à ne rien faire ou à parcourir des livres/journaux sans vraiment lire, et à avoir peur de tout. Je ne pense pas qu'elle ait vraiment raté sa vie: elle a beaucoup voyagé, elle a eu 3 enfants qui ont eux-même plus ou moins réussis leurs vies, elle a écrit des bouquins et beaucoup peint... Et elle a toujours eu, à ce qui paraît, un esprit très contradictoire et revendicatif, heureux dans le malheur. Mais maintenant elle veut mourrir et c'est compréhensible, mais elle en a à la fois très peur...

Bref. Je sais qu'elle va mourrir. Je suis passée la voir parce que je passais par là avec mon père, et elle était dans son lit, les infirmiaires nous ont dit qu'elle ne tenait pas debout. Elle était toute tramblotante et fébrile... On lui a demandé ce qui lui ferait plaisir pour ses 80 ans en Mars prochain :
"80 ans??? Comment c'est possible d'être aussi vieux? Ah non je pris le bon dieu de mourrir avant ce jour..."
mon père : "Mais comment ça se fait que Dieu n'exhausse pas une volonté pourtant si simple?"
elle : "Mais qu'est-ce que tu raconte, je ne crois pas du tout en Dieu!"
Quand on lui a apporté à manger : "j'ai pas faim... j'en ai marre de manger, c'est pas bon... Je crois que je vais arrêter".
Et effectivement je pense que c'est ce qu'elle va faire. Envie de mourir, pas faim, pas envie de manger... Je crois qu'elle n'y avait tout simplement pas pensé avant. Bien sûr, concrètement ils ne la laisseront pas mourir de faim dans la maison de retraite, mais ça revient au même.

Préssentiment? Mon père m'a dit la même chose. Elle va mourrir très bientôt... Quoi de plus juste que de la laisser mourrir tranquillement, maintenant? Mais d'un côté je n'ai pas du tout envie qu'elle meurre. C'est une réaction très égoïste vu que je ne la vois presque jamais.
J'aurais envie qu'elle fasse quelque chose avant de mourrir. Qu'elle n'ait pas vécu 10 ans de plus pour rien. Je commençais à me dire que c'était possible qu'elle se réveille, qu'elle se remette à peindre à lire et à se promener, à faire du bridge ou même à discuter avec les gens, qu'elle retrouve un peu de vie avant de mourrir. Je n'ai pas envie de la quitter comme elle est, je veux la connaître un peu plus comme elle était jeune, et discuter avec elle... Et c'est la derniere personne de la famille de mon père, sans ses frères et soeurs.

Je ne serais pas non plus effondrée si demain elle est morte. Je regrêterai tout simplement.